Le cinéma congolais à travers le prisme de Liesbeth Mabiala
Bonjour les YGB, aujourd'hui je vous emmène à la rencontre d'une artiste aux multiples facettes, une femme qui par son travail, sa combativité et sa persévérance contribue au rayonnement de la gente feminine dans le septième art congolais. Elle a été lauréate du meilleur film au festival Tazama en 2015 avec Dilemme, sacrée meilleure réalisatrice et meilleure actrice lors de la deuxième édition du festival Ya Beto en 2016. Le cinéma n'est pourtant pas son unique passion et pour tenter de percer le mystère Liesbeth Mabiala, je vous invite à la découvrir avec ses propres mots. Prenez place, silence !!! ça tourne.
Qui est Liesbeth Mabiala ?
Je suis une femme de 37 ans, née à pointe-noire (Congo).
De formation comptable et commerciale, j'ai exercé comme animatrice d’émissions culturelles et d'actualités à la télé et à la radio. J'ai aussi été commerciale dans plusieurs structures notamment une grande compagnie aérienne de la place. Pour des raisons personnelles mais aussi et surtout pour donner une nouvelle orientation à ma carrière , j'ai décidé en 2011 de créer mon propre label de production L&S Entertainment Pictures.
Tu es apparue sur la scène artistique congolaise en 1995 en tant que chanteuse, peux tu nous en dire d'avantage sur ta carrière musicale ?
La chanson et moi c’est une passionnante histoire qui date de ma tendre enfance. D’ailleurs c’est pour cette raison qu’en 1995 j'avais créé avec des amis le groupe RU32 ?(are you free too ?). Dans un parfait amateurisme, nous arpentions plusieurs scènes dans la capitale économique Pointe-noire. En 1999, j'intègre le mythique groupe de RAP Légitime Brigade. Et dès cet instant, ma vie va prendre un autre tournant. Je décide donc de m'installer à Brazzaville avec les autres. Seule fille au milieu de sept hommes, j'ai dû redoubler d'efforts pour m'affirmer. En 2006, je vais marquer une pause en quittant le groupe. Et c’est en 2012 que je décide de me relancer dans la musique mais en solo cette fois-ci. Et ce, avec l'aide d'un homme que je considère comme mon papa, son excellence monsieur Pierre Michel NGUIMBI. Nous n’avions malheureusement pas pu aller au-delà de la réalisation de deux clips. Aujourd'hui avec l'appui de mon producteur Cyriaque BASSOKA, nous renouvelons l'aventure, en espérant satisfaire et toucher un plus grand public. Pour ce faire, un single est en préparation avec une sortie effective pour 2018.
On t'a ensuite retrouvé au cinéma en 2003 sous la direction de Claudia Haidara. Comment s'est passée cette transition vers le septième art, et surtout qu'est ce qui t'a convaincu de suivre cette voie la ?
Avant de devenir actrice, j'étais déjà comédienne depuis 1997. Le passage de la scène au plateau s'est donc fait naturellement. Julien BISSALA, un ami avec lequel nous avons évolué au théâtre à pointe-noire, m’avait parlé du projet de madame Haïdara en insistant pour que j'y participe, parce qu’il avait décelé en moi les atouts d'une actrice. J'ai donc suivi son conseil, et depuis, c’est l'amour fou entre le cinéma et moi.
Avec un père chanteur, une soeur écrivaine, un grand père photographe ou encore une tante comedienne, n'avais-tu pas peur de décevoir ceux qui allaient sans arrêt te parler de ce lourd héritage ?
Il faut dire que seul mon côté maternel exerce professionnellement dans le domaine artistique. A savoir mon grand père, ma sÅ“ur et ma grande maman ( chez nous il n'y a pas de tante maternelle. Je respecte la tradition). Concernant mon père c’était plus un amour de jeunesse. Ses fonctions en tant que cadre au sein de la COMILOG ne lui permettaient nullement d’avoir une activité autre. Cependant, avec lui j'ai été bercée par toutes sortes de musique dans ma jeunesse. Ce qui bien évidemment m’a permis d’avoir ce goût prononcé de la diversité musicale. En somme non. Je n'ai jamais eu peur de décevoir qui que ce soit. J'exerce ce métier par passion, pas pour plaire, ou rechercher une quelconque reconnaissance familiale. D’ailleurs la force et la motivation qui m’animent sont au-delà de toute ces considérations. Par contre , cela n’empêche aucunement que je leur soit reconnaissante pour ces dons qu’ils m’ont légué.
Dans tes chansons et dans tes films tu dénonces fortement les exactions commises à l'encontre des femmes, ce qui te vaut cette étiquette de féministe engagée. Le vis tu comme un fardeau ou un honneur ?
Ni l'un ni l'autre. Ce n'est pas un fardeau, je le fais sans contrainte. Et ce n'est pas « un honneur » étant donné que je considère cela comme un devoir.
Je dénonce fortement ces exactions du fait d’avoir personnellement été, et ce, à plusieurs reprises, victime de harcèlement sexuel. Même dans certains textes encore en vigueur, on a l’impression que la femme est reléguée au second rang. Je suis donc juste fière d'être moi-même et de faire avant tout ce que je juge juste. C’est pourquoi, je reste persuadée que si elle m'est destinée, la reconnaissance viendra par elle-même.
En tant que réalisatrice tu fais la part belle à l'éducation. Penses tu que la conscientisation des masses soit la responsabilité des artistes ? espères tu avec tes oeuvres pouvoir éduquer tes contemporains ou du moins les mettre face à leur responsabilités ?
Le but premier poursuivi dans mes Å“uvres est effectivement celui de conscientiser les masses. D’ailleurs je suis partisane du film d'auteur et c’est la raison pour laquelle je ne pense pas un jour faire des films commerciaux. Les miens doivent véhiculer un message avec pour finalité la conscientisation, pas seulement de mes concitoyens, mais de toutes celles et ceux qui se retrouveront face à mes oeuvres. Je souhaite toujours en réalisant mes films, (et ce peu importe l'endroit ou ils seront projetés ou diffusés) que le spectateur ou le téléspectateur se retrouve, s’identifie et soit interpelé.
L'artiste doit aller au-delà des limites perçues par la société, laquelle par moment entrave certaines libertés. L’art est avant tout libre; et comme le disait l'un de mes mentors, l’art est un formidable moyen pédagogique, du fait qu'il ouvre, les oreilles et les yeux.
Aujourd'hui on ne compte aucune salle de cinéma au Congo Brazzaville, comment parviens tu à diffuser tes oeuvres à tes concitoyens ? n'est-ce pas un handicap majeur pour le septième art congolais ?
Le manque de salle de cinéma est évidemment le problème majeur qui mine notre art. Comment un cinéma peut-il être évolutif sans salles de projection mises à disposition a cet effet ? Aujourd'hui les cinéastes se contentent des festivals qui (heureusement) se créent tant bien que mal, ici et là pour faire connaître leurs Å“uvres à leurs concitoyens. Mais ce n'est pas suffisant…
Si seulement ce cri d'alarme pouvait se faire entendre.
Le public congolais à facilement accès aux productions hollywoodiennes et Nollywoodiennes, as tu une stratégie pour le pousser à consommer les créations congolaises ?
Pour la nouvelle année 2018, qui s'annonce très riche artistiquement me concernant, nous prévoyons non seulement la commercialisation de mes œuvres cinématographiques mais aussi une vraie politique de proximité avec des projections publiques et gratuites sur toute l'étendue du territoire national. Nous pensons qu'il est temps de changer le regard du congolais lambda vis à vis du cinéma congolais. Je reconnais que jusqu'ici c'est une image que nous n'avons pas su lui vendre.
Tu es l'incarnation même de la femme orchestre, tour à tour musicienne, réalisatrice, scénariste, comédienne et productrice. De toutes ces cordes attachés à ton arc, quelle est celle qui te passionne le plus ?
C'est comme si vous demandiez à une maman, lequel de ses enfants elle préfère. Elle ne saurait vous répondre. Je suis une passionnée, j'aime tout ce que je fais. Et si c'était à refaire je le referai.
Quelle est la place faite à la femme dans la culture au Congo, y existe-t-il d'ailleurs une politique culturelle ?
Peut-on parler d'une politique culturelle au Congo ? J'en doute fort. Cela fait des années que nous ne savons plus ce que cela signifie. La femme artiste congolaise est même la plus exposée à mon sens, et elle n'est pas considérée à sa juste valeur. Nous évoluons dans un environnement machistes dans lequel, il faut être une lionne pour espérer émerger. Les artistes feminines se battent doublement afin de se faire entendre et valoir. Les barrières culturelles et environnementales s'y prêtant également trop facilement. J'en connais plusieurs, de très talentueuses, qui ont préféré sacrifier ce talent par peur de prise de trop gros risques. Heureusement qu'il y en a quand même qui, contre vents et marées, gardent le cap. TOUTEFOIS, JE GARDE L'ESPOIR QUE LES CHOSES CHANGERONT UN JOUR .
Il y'a eu "Au Secours" en 2011, "Dilemme" en 2015 et "Kinkoko" en 2017. Quels sont tes projets pour 2018 ?
Àu secours 2011, Dilemme 2014 et Elonga (kinkoko) 2018 car c’est l'année de sortie qui détermine le début de vie d'un film. 2015 n'était que l'année de tournage du film Elonga qui sort en début 2018 dans lequel on note la participation magistrale de l'acteur ivoirien BOHIRI Michel. Par ailleurs, je suis en même temps sur un projet de série télé sur la femme qui sera à réaliser en 2019 si Dieu le permet. Cette série connaîtra la participation des actrices de renommée internationale de quatre différents pays à savoir : le Sénégal, le Mali, la cote-d'Ivoire et le Congo.
Le dernier mot est pour toi, que souhaite tu rajouter
Le cinéma est un métier noble et un levier important pour la vulgarisation de l'image de marque d'un pays. S'il y avait une véritable volonté politique d'accompagner la culture de notre pays, vous seriez étonné par l'infini potentiel des artistes. Aux femmes africaines en générale et congolaises en particulier, ce monde a besoin de nous. Mobilisons nous en travaillant dix fois plus, afin de nous faire entendre. Et faire comprendre à ces hommes, que c'est avec eux que nous brillerons. PAS DERRIÈRE EUX. L'avenir nous appartient. MERCI.
Un grand merci à toi Liesbeth pour ce moment de partage, on te retrouvera très bientôt dans les bacs et sur les écrans.Ce sera tout pour aujourd'hui les YGB, protégez vous toujours en sortant et on se dit à tantôt les amours.
xoxo