Le septième art a longtemps été perçu comme le parent pauvre de la culture congolaise. Cette expression artistique dont l'acte de décès avait déjà été signé avec la disparition des salles de cinéma, au profit des églises de réveille ou sommeillent d'autres formes de scénario, avait besoin d'un miracle pour sortir de la pénombre.
Pour ressusciter cet art enseveli sous le pessimisme institutionnel, il a fallu la ténacité, la determination et la persévérance d'une femme qui croit fortement en l'émergence de ce moyen d'expression. Je vous embarque sans plus tarder, à la rencontre de celle par qui ce prodige est arrivé. Lumière et Clap donc sur la réalisatrice Claudia Haïdara-Yoka. ça tourne, bonne séance !!!
Je vous laisse vous présenter aux lecteurs en répondant à la désormais célèbre question d'introduction à savoir : Qui est Claudia Haïdara Yoka ?
C’est bien là la question la plus difficile et la plus récurrente qui m’est posée régulièrement. Je suis une jeune congolaise à l’esprit résolument ouvert sur le monde et ses mutations. Je suis une jeune mère soucieuse de l’avenir de mes enfants, mais engagée pour ce en quoi je crois.
Vous êtes l'initiatrice du Festival Tazama, de quoi s'agit-il, que représente t-il et surtout dans quel but à t-il été crée ?
Le Festival Tazama est le festival du film des Femmes africaines dont la première édition a eu lieu en janvier 2014. J’ai souvent eu le sentiment que face à une épreuve que l’on pense insurmontable, il faut lui opposer un défi de prime abord ingérable. Dans un pays où il n’existe plus de salle de cinéma, créer un festival du film donne tout son sens au mot challenge. Mon épreuve aura été d’avoir perdu deux êtres extrêmement chers à mes yeux en l’espace de deux semaines. Ma catharsis a été de réunir des femmes cinéastes extraordinaires autour d’une cause qui est la lutte contre le cancer. Tazama représente donc cette grande réunion de femmes et d’hommes du cinéma africain dans le but d’honorer la mémoire de ceux que la maladie a emportés, mais aussi de combattre pour ceux qui espèrent.
Que signifie Tazama ?
Tazama signifie voir en swahili, comme pour constater le fléau et contribuer à son éradication, mais aussi comme voir, visionner un film.
Comment vous est venue l'idée d'offrir cette plate-forme d'échange socio culturel qui réunit les femmes cinéastes du continent, au public brazzavillois ?
Comme je l’ai dit plus haut, pour défendre une cause, mais cela en passant par le divertissement pour réunir le plus grand nombre.
La dernière édition du festival qui s'est tenue du 6 au 12 janvier 2015 avait pour thème "Combat de Femmes" quel sera celui de la prochaine édition ?
La prochaine édition a pour thème : Du leadership au pouvoir. Connaitre les leaders d’antan et mettre en face des femmes de caractère ou des réalisatrices avec une vision singulière de la parité, du leadership ou du pouvoir ; cette édition connaitra la participation de Mme Ilyasah Shabazz, fille du leader Malcolm X.
Quelles sont les dates retenues pour la troisième édition du festival Tazama ?
Les dates sont inchangées d’une édition à l’autre. Il s’agit du 06 au 12 janvier 2016 à Brazzaville
En tant que directrice du CLAP (Association Congolaise de Liaison entre les Artistes et la Production) vous auriez pu opter pour différents supports pour oeuvrer dans la culture. Pourquoi avoir choisi le septième art plutôt que la danse ou la musique par exemple ?
Lorsque je vois comment s’exporte notre musique, notre danse et même notre littérature, je ne suis pas très inquiète quant à l’avenir de ces secteurs de la culture pour notre pays. Mais, je suis rentrée au Congo courant 2001 et je désespérais de voir un film congolais en allumant ma télévision et comme je disais, il faut des challenges pour avancer.
Quel regard portez-vous sur le cinéma africain en général, et la production congolaise en particulier ?
Le cinéma africain a souvent fait les frais de son financement par des institutions qui laissaient peu de place à l’imaginaire pour favoriser une sorte de représentativité « minoritaire » obligatoire qui donnait bonne conscience. Bien sûr, les films étaient magnifiques quand même parce que confiés à des réalisateurs africains hors pair, mais pour moi, le cinéma africain tel que j’ai envie de le voir existe depuis une dizaine d’années environ. L’œil du cyclone me parle tout comme Last flight to Abuja. C’est contemporain, c’est mon Afrique.
Bien souvent dans la diaspora, lorsque l'on parle du cinéma africain on pense tout de suite au Nigeria (Nollywood) Burkina Faso (Fespaco) ou encore à l'Egypte et au Maroc. Pensez vous sincèrement qu'un jour le Congo pourra figurer aux côtés de ces nations "cinématographiques" ?
Le Congo y figure déjà. Lorsqu’un petit film congolais est sélectionné dans un festival où des réalisateurs nigérians ou marocains sont invités, c’est une percée, certes timide et pas encouragée telle qu’elle le devrait mais, le résultat est le même. Nos réalisateurs s’exportent et font les circuits des festivals. La créativité est souvent au rendez vous.
Beaucoup de réalisateurs déplorent la difficulté d'accès au financement, mais aussi l'absence d'infrastructures pouvant permettre l'épanouissement et la vulgarisation de cet art au Congo. Avez-vous des idées ou un début de solution à proposer qui à court terme permettrait de remédier à cela ?
A court terme, donner un cadre légal à la profession de cinéaste au Congo. A court et moyen termes, trouver des raisons hautement patriotiques d’accompagner financièrement les cinéastes congolais qui, à force de faire des films avec trois fois rien, vont passer, au mieux pour des aventuriers, au pire, pour des bricoleurs, alors que le talent et la compétence sont là ! Les nouveaux circuits de distribution tels que la VOD ou l’auto-distribution à moindre coût sont des pistes économiques intéressantes.
Pas moins de onze pays étaient représentés lors de la dernière édition qui a vu le sacre de quatre femmes talentueuses parmi lesquelles figurait la regrettée Laurentine Milebo. Avez vous déjà essuyé des refus de participation de la part des réalisatrices depuis le début de cette aventure ?
Depuis le début de cette merveilleuse aventure, nous n’avons eu aucun refus, pas même de la regrettée Laurentine Milebo, monument du cinéma, qui voulait obtenir une autorisation de voyager de son médecin et nous l’avions, à l’époque, dissuader de le faire. Je suis extrêmement fière d’avoir pu lui rendre hommage. Et je garde pour moi son commentaire lorsque je lui ai annoncé que nous souhaitions l’honorer dans son pays pour la remercier de son immense carrière dans le cinéma français et africain.
Pouvez vous nous donner un aperçu de la programmation de l'édition à venir ? Les films en compétitions, les acteurs/actrices convié à l'événement et pourquoi pas, les pays présent lors des masters classe et des conférences de presse
Nous programmons des films cultes tels que "La nuit de la vérité " de Fanta Régina Nacro ou des films récents et novateurs sur ce que le leadership représente pour moi tels que "l'oeil du cyclone" de Sékou Traoré qui met en scène l'excellente comédienne Maimouna Ndiaye ou encore le film de la jeune et talentueuse Samantha Biffot du Gabon "L'Africain qui voulait voler" que mon jury et moi avons primé à Libreville dernièrement à la 10ème édition des escales documentaires de Libreville. Mais, la programmation est dense et ouvrir le festival avec "Iron ladies of Liberia" de Daniel Junge et Siatta Scott Johnson en partenariat avec l'institut Goethe du Cameroun donne le ton à cette édition où il est question de la poigne des femmes. Chaque film aura une conférence de presse le lendemain. Notre Master class, toujours en partenariat avec l'institut Goethe du Cameroun, formera les journalistes congolais à la critique cinématographique, avec Monsieur martial Nguea qui a fait un travail de qualité à Libreville lors des escales. 10 pays du continent sont représentés cette année et les USA.
Que pouvons nous vous souhaiter pour le futur autant pour le Festival Tazama, le Clap que pour votre vie de femme, mère entrepreneur ?
Je veux que chaque congolais s'approprie Tazama, qu'il en fasse un rendez-vous incontournable afin que le festival se pérennise. Clapcongo n'a pas les ressources pour se maintenir seule. Nous n'avons pas la prétention de détenir la solution miracle pour notre cinéma, mais des femmes cinéastes partent enchantées chaque année. Jacqueline kalimunda du Rwanda, Meiji u'Tumsi du Congo Brazza, Pascale Obolo du Cameroun sont parties en disant qu'il se passe quelque chose sur le plan cinématographique au Congo Brazzaville et je ne cite qu'elles. Tant mieux si Tazama sert à mettre en lumière ce que nos cinéastes congolais savent depuis longtemps. En tant que mère entrepreneur, souhaitez moi de ne jamais baisser les bras et de continuer à cultiver mon jardin comme candide de Voltaire... Et en tant que femme, que Dieu continue d'éclairer ma route!
Le dernier mot vous revient, que souhaitez-vous dire aux lecteurs ?
Qu’ils sont des lecteurs inspirés et que leur démarche de lire les articles publiés sur Young Gifted and Black est un signe fort d’encouragements à aller encore plus loin et à garder sa motivation pour une Afrique plus unie et entreprenante. Je suis heureuse de partager mon inspiration et mon expérience avec ce festival Tazama.
Merci à Claudia Haïdara Yoka de nous avoir consacré un peu de son précieux temps. Nous souhaitons de tout coeur à Tazama de devenir l'incontournable plaque tournante du cinéma féminin en Afrique.
On se quitte pour mieux se retrouver les amours, n'oubliez pas de sortir couvert les YGB et à tantôt.
xoxo
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